Alain Guiraudie – Réalisateur aveyronnais rural et original

Alain Guiraudie, cinéaste et romancier iconoclaste, a choisi le village de Sauclières, en Aveyron, pour tourner son septième film, Miséricorde, actuellement à l’affiche avec Catherine Frot. Révélé au grand public en 2014 avec L’Inconnu du lac, nommé huit fois aux César, le réalisateur aveyronnais est devenu une figure incontournable du cinéma français, souvent présent dans les plus grands festivals, comme cette année avec Miséricorde, sélectionné à Cannes.
Son troisième roman, Pour les siècles des siècles, paru en septembre 2024 aux éditions P.O.L, fait suite à Rabalaïre (2022), qui lui-même inspire le scénario de Miséricorde. Alain Guiraudie construit une œuvre marquée par son attachement à la campagne, la solitude, la mort, le désir et la sensualité, tout en intégrant des éléments d’actualité et de l’humour. A quelques minutes de l’avant-première à Millau, nous avons pu le rencontrer.
Depuis vos débuts, vous faites un cinéma qu’on pourrait qualifier de rural. Ce film se déroule en Aveyron, comme d’autres que vous avez tournés dans le Cantal, la Lozère, le Tarn… Pourquoi ce choix ?
« C’est un monde que je connais, et je me sens légitime pour y raconter mes histoires. Il y a aussi une volonté politique. Dans les années 90, quand je me suis formé, le cinéma français était très urbain. Je voulais filmer la campagne. En tant que fils d’agriculteur, je trouvais que les agriculteurs étaient peu représentés, ou alors de manière caricaturale. »
Vos personnages brisent les clichés ruraux ! La sexualité y est omniprésente, sans restriction d’âge.
« Oui, j’avais envie de donner une autre vision de la campagne. Beaucoup d’agriculteurs qui voient mes films se disent sûrement : « Mais il nous fait passer pour quoi, celui-là ?» Bien que j’aime prendre des libertés avec le réel, il m’importait de rappeler que l’homosexualité, la sensualité sont aussi présentes dans le monde paysan et ouvrier. Quand on regarde la télévision ou le cinéma, on pourrait croire que la sexualité ne concerne que les jeunes citadins bien foutus ! Dans un premier temps c’est ce qui m’a motivé à filmer la campagne. »
Vous parlez de Miséricorde comme d’une œuvre inspirée de votre roman Rabalaïre, plutôt qu’une adaptation. Est-ce intentionnel de créer ces passerelles entre vos œuvres, où l’on retrouve souvent des éléments de vos livres dans vos films, et inversement ?
« Oui, je fais des ponts, et je travaille les thématiques qui me sont chères. Les personnages je les travaille différemment. Le curé de Miséricorde n’est pas celui du roman. Mon film précédent Viens je t’emmène est aussi tiré du roman Rabalaïre, et le personnage principal n’a rien à voir avec celui ci. Le cinéma et la littérature ont des rythmes différents. Rabalaïre fait 1200 pages, un film dure 1h30… il y a forcément des éléments à laisser de côté. »
Pourquoi avoir choisi Sauclières ?
« Après l’écriture du scénario, je cherchais un village avec une église au centre, qui rappelle mon enfance. Je me suis pas mal promené dans le coin et je me souvenais de Sauclières comme un lieu un peu abandonné, avec des maisons à vendre, ce qui correspondait bien à l’ambiance recherchée. Et la forêt était aussi très importante. »
Comment s’est passé le tournage ?
« Le tournage a donné lieu à un véritable échange avec les habitants. Certains nous ont prêté des maisons, d’autres ont logé des techniciens, et certains ont participé en tant que figurants ou assistants. Cette complicité a apporté une dimension humaine forte au film. »
Nous ne pouvons que confirmer étant donné la bonne humeur régnant à l’occasion de la séance et de la rencontre avec le réalisateur. Bernadette Negros, la mairesse du village a spécialement affrété un bus pour l’événement.
Propos recueillis par Kevin Niloc – Photo: Hélène Bamberger

Filmographie selective :
2003 : Pas de repos pour les braves
2013 : L’Inconnu du lac
2016 : Rester vertical
2022 : Viens je t’emmène
2024 : Miséricorde
Bibliographie :
2014 : Ici commence la nuit, P.O.L
2021 : Rabalaïre, P.O.L
2024 : Pour les siècles des siècles, P.O.L