Olivier Fabre « Il faut sauvegarder nos savoir-faire en danger »
Olivier Fabre, Maitre-Gantier à la tête de Maison Fabre, revient sur le projet de candidature des savoir-faire des femmes et des hommes liés à la ganterie du pays de Millau au Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO.
Que représente Maison Fabre aujourd’hui ?
Nous employons 15 personnes et fabriquons 5000 paires de gants de ville et d’administration et sport à Millau, par an. Nous en vendons 8000 chaque année. Comme nous ne maîtrisons plus certaines technicités telles que le cousu main, nous faisons aussi appel à des couturières à la campagne, en Hongrie et au Portugal. Notre problème ? Nous n’avons pas d’école à Millau, il nous faut former nos futurs artisans en atelier.
La crise sanitaire a-t-elle impacté l’entreprise ?
Avant le covid, nous vendions à l’export à 40 %. Cela a beaucoup diminué, mais notre part sur le digital a explosé : 15 % de notre chiffre d’affaires se fait sur notre e-shop. En 2021, nous avons réalisé un chiffre d’affaires proche d’1 M€. Soit une croissance de 12 % ! Nous visons 18% de croissance pour 2022.
Quels sont les projets de l’entreprise ?
Travailler le plus possible en économie circulaire avec des matières naturelles locales. Avec Atelier Tuffery (Florac), nous développons deux gants en toile de jean de laine des brebis Lacaune d’Aveyron et de Lozère. Nous portons aussi un projet avec des gants d’escrime en agneau Lacaune lavable, nous avons fourni les gants de l’équipe des Etats- Unis lors des JO de Tokyo, nous voulons aller plus loin en fournissant l’équipe française. Objectif : sortir 3000 gants d’escrime par an pour les deux pays. Notre stabilité, nous l’aurons davantage sur la « protection » de la main que sur la mode.
Est-ce que Maison Fabre entame une vraie stratégie de diversification sur le sport et la protection de la main ?
Depuis 25 ans nous nous renouvelons sans cesse, à l’écoute du marché. A Millau, tous les atouts sont là : l’environnement agropastoral (brebis et agneau), les transformateurs de la laine (Mazamet, Camares…) et du cuir (quatre mégisseries à Millau, cinq ganteries, deux maroquineries) et Millau est une ville de sport en pleine nature. On fera toujours du gant de ville, mais on l’axe sur l’économie circulaire en engageant tous les acteurs. En 2015, j’ai présidé pendant trois ans le pôle cuir Aveyron fédérant 18 professionnels avec 350 emplois.
Vous avez ensuite initié la candidature du Pays de Millau au Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO ; quelles sont vos motivations ?
Aux côtés de Nadia Bedar, directrice de candidature, et avec le soutien de la Mairie de Millau et de la Com-Com Millau Grands Causses, nous portons une candidature d’envergure auprès de l’UNESCO pour le territoire. L’objectif est la sauvegarde de nos savoir-faire en danger. Il y a un risque réel d’extinction : pas d’écoles, pas de formateurs, les entrepreneurs se sentent seuls face à de nouveaux défis… il faut initier une vraie vision d’avenir. Cette inscription pourrait tout changer et elle impacte déjà notre territoire ! Cela structurerait la filière ; coupeurs, gantiers, mégissiers, éleveurs ; attirerait de nouvelles entreprises et de nouvelles recrues – pourtant Millau recrute massivement : 170 personnes ont été recrutées en trois ans sur le cuir.
Quid de la formation, le nerf de la guerre ?
En 2022 nous espérons voir démarrer au lycée professionnel de Millau une formation de ganterie cuir souple, un master des métiers de la peau et du gant pourrait ouvrir en 2023. La recherche n’est pas en reste : une première chaire UNESCO sur le bien-être animal va voir le jour avec l’école de Purpan à Toulouse en collaboration avec des pays comme l’Argentine, l’Ethiopie et la Chine pour valoriser aussi nos matières naturelles locales.
Le tourisme peut aussi tirer son épingle du jeu ?
Bien sûr, nous avons créé la Route des Gantiers, un circuit écotouristique pour découvrir vignobles, bergers, caves de Roquefort et ganteries, toute l’activité culturelle et artisanale. Dans le cadre de cette candidature à l’UNESCO, se dessine le Pays de Millau intégrant six départements, Aveyron, Tarn, Aude, Gard, Hérault et Lozère. Ce sont 17 mesures de sauvegarde que nous avons imaginées !
Quel est le calendrier de cette initiative ?
Nous espérons déposer notre dossier à l’Unesco en mars 2023. Un seul dossier est engagé par la France tous les deux ans, qui doit être choisi par le Président de la République et la Ministre de la Culture. La réponse sera donnée en novembre 2024.
Propos recueillis par Agnès d’Armagnac Photos : Fred Garrigues