Rodez Aveyron Football, Un club de territoire

Pierre-Olivier Murat, Grégory Ursule, Guillaume Laurens : les trois hommes à la tête du RAF forment un trio discret, mais puissant et soudé. Respectivement Président, Manager général et Directeur du Développement du club qui a fêté ses 95 ans cette année. ils prennent peu la parole dans les médias, se disant « plus faiseurs que diseurs ». Alors avec eux, nous avons parlé d’identité, de responsabilité et d’attachement viscéral au club, plus que de sport.
Pouvez-vous revenir en quelques mots sur vos parcours, pour celles et ceux qui ne vous connaîtraient pas ?
Guillaume Laurens : J’ai un long attachement au RAF ; je me rappelle être allé voir Marseille-Rodez au milieu de 40.000 personnes à 8 ans. J’ai rencontré Pierre-Olivier plus tard, au club de Pont-de-Salars, où il était mon entraîneur. Nous avons ensuite travaillé ensemble une vingtaine d’années. Quand il a pris la présidence du club, je me suis progressivement impliqué à ses côtés.
Grégory Ursule : Je suis né à Rodez et j’ai grandi aux « 4 Sai » dans une famille de sportifs. J’ai joué au RAF avec Pierre-Olivier, avant de partir pour les Girondins de Bordeaux en 1995. Puis j’ai joué pro au Stade rennais et à l’AC Ajaccio, ainsi qu’au FC Gueugnon. Je suis revenu comme joueur à Rodez de 2004 à 2011, avant de prendre la coordination sportive du club dont je suis maintenant manager général.
Pierre-Olivier Murat : Je suis né à Rodez : comme les autres, tout commence par là. J’ai pris ma première licence au RAF, puis je suis parti à 15 ans en centre de formation à Nîmes. J’ai joué à Bourges et Caen avant qu’une maladie ne me fasse arrêter le football. J’ai alors monté des boutiques de téléphonie. Avec Joël Pilon et d’autres, nous avons fondé la SASP du RAF. Je suis devenu Président du club en 2006, et depuis sept ans, je ne m’occupe plus que de foot.
Vous êtes respectivement « Président », « Manager général » et « Directeur du Développement » du club. Comment résumer votre rôle et vos missions au quotidien ?
Pierre-Olivier Murat : Il faut comprendre qu’au-delà du sport, le RAF est une vraie PME, avec une centaine de salariés malgré sa spécificité : les résultats sportifs qui changent la donne. Mon rôle est de gérer cette PME sur les parties stratégiques, financières et de représentation.
Guillaume Laurens : Je travaille sur le développement du club au niveau structurel et infrastructurel, sur le développement des revenus, sur la gestion des process ainsi que sur les data sportives, qui nous permettent d’analyser résultats et performances.
Grégory Ursule : Pour ma part, je suis une sorte de directeur général, plutôt en charge de la partie opérationnelle et sportive, et du suivi des équipes au quotidien.
Comment travaillez-vous ensemble ?
Pierre-Olivier Murat : Nous nous connaissons depuis très longtemps. Chacun a ses fonctions, mais nous essayons toujours de prendre des décisions collégiales.
Grégory Ursule : Pierre-Olivier est très ambitieux sans être prétentieux, il nous tire toujours vers le haut dans nos objectifs et nous encourage à ne pas avoir de complexes. Je suis un peu plus terre-à-terre. Tout passe par le travail, le labeur, la terre.
Guillaume Laurens : Pour ma part, je ne suis ni euphorique, ni alarmiste, mais plutôt concentré sur le chemin, la structure, sur ce qui est solide. Les résultats, ça va et ça vient.

Crédit photo : Théo Durand
Le RAF a fêté ses 95 ans cette année.
Pierre-Olivier Murat : Ça a été l’occasion de réunir les anciens, de créer de l’émotion avec les supporters, et surtout, de fabriquer de nouveaux souvenirs avec une saison exceptionnelle. Pour les 90 ans, on avait connu un changement de division ; pour les 95 ans, cette saison si particulière ; pour les 100 ans, on fêtera la montée en Ligue 1.
Grégory Ursule : Ou la qualification en Coupe d’Europe (rires).
Pierre-Olivier Murat : Quand j’avais dit qu’un jour, on serait en Ligue 2, on nous prenait pour des fous… Maintenant, on peut dire qu’un jour, on sera en Ligue 1.
Quelle identité puise le club dans son histoire ?
Guillaume Laurens : Ce qui fait la culture d’un club, ce sont son territoire et les hommes et les femmes qui l’habitent. Tout le travail des joueurs comme du staff consiste à être chaque jour à la hauteur de ces gens-là. Les Aveyronnaises et Aveyronnais aiment retrouver sur le terrain ce qui fait leur état d’esprit : être carrés, travailleurs, ambitieux, solidaires, discrets et humbles.
Pierre-Olivier Murat : Si on perd cette identité aveyronnaise, on meurt. Nous devons en être les garants. C’est pourquoi nous nous attachons autant à la personnalité des joueurs que l’on recrute, qu’à leurs qualités humaines avant même leurs qualités sportives.
Grégory Ursule : Quand nous recrutons des jeunes, nous les faisons monter en compétences tout en leur transmettant cette ADN. Et c’est vrai pour toutes les personnes impliquées dans le projet, des joueurs et joueuses jusqu’au pôle administratif.
Quel rôle tient le stade Paul-Lignon dans la transmission de cette identité ?
Grégory Ursule : C’est plus que le stade du RAF, c’est un véritable monument. En Coupe d’Aveyron, les équipes se battent de façon acharnée pour venir y jouer la finale. L’identité d’un club, d’une ville, d’un terroir passent par de tels symboles.
Guillaume Laurens : Le choix de le garder en centre-ville et de le doter d’une architecture avec une telle proximité participe à la connexion avec les supporters : les joueurs peuvent célébrer directement dans les bras du public, les enfants font des selfies au bord du terrain… Et pour continuer à se développer, il était essentiel d’avoir un stade moderne et accueillant pour les supporters comme pour les entreprises.
Pierre-Olivier Murat : C’est simple : sans stade, pas de football professionnel. Quant à sa présence en centre-ville, elle est déterminante tant pour son identité que pour les retombées économiques autour des matchs.

Crédit photo : Théo Durand
Comment trouver l’équilibre entre histoire et modernité ?
Guillaume Laurens : C’est une balance perpétuelle, entre être fier de ses origines tout en se tournant vers l’avenir ; entre être attaché à ses couleurs tout en faisant preuve de modernité ; entre le respect de ce qu’il y a eu avant, mais sans être passéiste, en cultivant l’ambition d’avancer. Nous affrontons d’autres clubs qui ont de grandes histoires, souvent des villes de taille et de bassins économiques supérieurs. Il faut donc faire preuve d’identité, trouver notre stratégie, user d’atouts différents, innover et aller chercher des choses qui ne se font pas ailleurs. Nous ne franchirons d’objectifs élevés qu’en construisant notre propre méthode.
Comment s’annonce la nouvelle saison ?
Pierre-Olivier Murat : Bien que nous ayons fini la dernière saison au plus haut niveau en jouant les barrages, je viens de connaître l’été le plus compliqué de ma carrière de Président en termes de financement et de projection. Jusqu’à l’année dernière, les droits TV représentaient l’essentiel de nos recettes. Avec la baisse de cette manne financière, il va falloir se réinventer. Le marché du foot français va se réguler, mais nous avons été obligés d’être très prudents et de laisser partir plusieurs cadres pour pérenniser l’institution. Nous sommes sur un nouveau cycle de joueurs qui ont énormément de qualités, et nous allons travailler dur.
Grégory Ursule : Il va falloir trouver d’autres façons de créer de l’économie, via la billetterie, le merchandising, nos partenaires… Le métier va changer, il faudra être inventif, faire preuve d’agilité et de résilience. Nous avons la capacité d’être plus réactifs que les autres, justement car nous sommes petits.
Guillaume Laurens : L’engouement reste là : de toute l’histoire du club, nous n’avons jamais eu autant d’abonnés que cette nouvelle saison.
Comment se positionne le RAF face à des enjeux comme l’écologie ou l’inclusivité ?
Guillaume Laurens : Nous avons à cœur de faire du mieux que nous pouvons dans ces domaines. Nous avons 600 licenciés, nous sommes médiatisés, nous avons donc un rôle social à jouer. Pour citer quelques exemples de nos actions, nous avons mis en place une plateforme de covoiturage pour les matchs ; nous avons fait notre bilan carbone, une démarche importante qui va être suivie de plans d’action. Nous travaillons avec le Secours Populaire, avec l’hôpital de Rodez… Nous essayons d’être connectés à notre territoire. Et en retour, nous sommes soutenus.
Pierre-Olivier Murat : Nos joueurs professionnels se déplacent dans les villages aveyronnais plusieurs fois par an pour aller entraîner les gamins, nous sommes le seul club professionnel à faire ça.
Grégory Ursule : On se rappelle nous-mêmes, quand, petits, des joueurs nous donnaient leurs maillots. C’est en ce sens que nous avons une responsabilité sur le territoire, et sociétale. Quelles valeurs voulons-nous faire passer ? Nous avions les mêmes comportements en CFA qu’en Ligue 2 ; nous les garderons peu importe le niveau.

Crédit photo : Martin Jahoda
Vous ne communiquez pas forcément sur toutes ces actions qui font de vous un club de territoire.
Guillaume Laurens : C’est vrai, il y a toujours une certaine pudeur à communiquer sur les « bonnes actions ». Nous sommes plus des faiseurs que des diseurs, c’est un trait de caractère bien aveyronnais.
Pierre-Olivier Murat : On s’exprime peu, on bosse, et on voit ce que ça donne. L’important est de donner de bonnes conditions à nos équipes et à nos supporters : une fois que cet objectif est atteint, l’essentiel est là.
Quid du football féminin ?
Guillaume Laurens : Nous sommes précurseurs, puisque nous avons une équipe féminine depuis 30 ans, qui a joué en D1 et garde un sacré niveau. Le championnat féminin est intéressant, et nous sommes compétitifs avec nos armes, nos stratégies et notre identité.
Grégory Ursule : Nous comptons 180 licenciées féminines, et une équipe de filles par catégorie, des U6 jusqu’aux seniors. Il n’y a rien d’opportuniste à cela, nous avons toujours encouragé le football féminin.
Pierre-Olivier Murat : Pourtant, ce sport est déficitaire financièrement , mais nous avons fait le choix de continuer du foot féminin, pour de vrai.
Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ?
Pierre-Olivier Murat : Ça. [Il montre son cœur]
Guillaume Laurens : Que le club et l’équipe soient performants, qu’ils gagnent des matchs plus qu’ils n’en perdent ; que les gens soient fiers du RAF et de ses performances, qu’ils aillent au stade en famille. C’est une belle récompense.
Grégory Ursule : De façon personnelle, avoir réussi à faire oublier le footballeur que j’étais pour devenir le manager que je suis.: Pour le moment, nous sommes acteurs du club, mais nous ne serons là qu’un certain laps de temps, comme les autres avant nous. Nous passerons le relais en ayant cultivé l’identité du RAF, et en l’ayant ancrée un peu plus.
Propos recueillis par Charlotte Izzo