La Maison du livre

Plus qu'une librairie, une institution culturelle

Culture
24.11.2025
La Maison du livre

On ne présente pas la Maison du Livre, cette institution presque octo-génaire du centre-ville ruthénois, bastion des librairies indépendantes.

À Rodez, on est fier-e-s de ce commerce pas comme les autres, troisième librairie indépendante d'Occitanie après Toulouse et Montpellier : rien que ça. En 2023, Emmanuelle Belle et Amandine Pinson en ont repris la direction en douceur, avec une volonté : faire perdurer l'âme de La Maison du Livre.

Pouvez-vous nous raconter vos parcours respectifs au sein de la Mai-son du Livre ?

Emmanuelle: J'y suis entrée en 1991 pour un job d'été, et je n'en suis plus partie. J'ai occupé différents postes, j'ai connu les directions de Danielle Dastugue et de Benoît Bougerai que je secondais. À son départ, il m'a proposé de reprendre, ce que j'ai accepté à condition que ce soit aux côtés d'Amandine. Amandine : De mon côté, je suis entrée à la Maison du Livre pour un stage de comptabilité en 2004. Quatre ans plus tard, au moment de l'ouverture de la deuxième librairie dans les locaux de l'ancien cinéma Family, j'ai pris le poste de comptable, avant de devenir associée avec Emmanuelle.

Quels ont été les éléments de rupture et de continuité depuis votre arrivée à la direction de la maison ?

Emmanuelle : Beaucoup de choses n'ont pas changé, car nous occupions déjà plus ou moins les mêmes rôles, et nous avons continué à nous appuyer sur l'expérience et la compétence de notre équipe. Amandine : Nous avons repris au moment de la fermeture de la boutique France Loisirs, ce qui nous a permis de repenser l'espace, d'étoffer les rayons musique et roman policier, mais surtout de créer et développer le rayon jeux de société.

Comment expliquez-vous que la Maison du Livre soit une telle institution pour les Aveyronnaises et

Aveyronnais ?

Emmanuelle: Je crois que cela tient à notre ancrage dans le territoire et à nos presque 80 ans d'histoire, mais surtout, à nos équipes stables et qui connaissent leurs rayons par cœur. À Rodez, les visages des libraires de la Maison du Livre sont familiers; un quart de notre équipe est là depuis plus de 30 ans.

Quels sont les genres qui marchent le mieux ici ?

Amandine : La littérature, la bande-dessinée et la jeunesse. Ce sont les trois principaux pôles, bien que nous soyons aussi réputés pour les rayons sciences humaines ou jeux de société par exemple. Emmanuelle : Et nous avons en stock presque tous les livres qui existent sur l'Aveyron !

Avez-vous constaté des évolutions dans les modes de consommation du livre ces dernières années ?

Amandine : Depuis le covid, le service du « click and collect » s'est grandement développé et représente une activité importante pour nous. Nous actualisons notre stock en ligne plusieurs fois par jour, et sommes partenaires de deux autres sites web de librairies. Emmanuelle : Le livre est devenu très facile d'accès, que ce soit sur internet ou dans les supermarchés. Les lecteurs achètent en ligne, mais cette problématique touche tous les commerces. En ce sens, le prix unique du livre nous protège. L'autre difficulté, c'est la question des achats des écoles, des médiathèques, des collectivités. La culture a chaque fois moins de subventions, dont nous dépendons pourtant. Il y a quelques années, la mise en place du Pass Culture pour les jeunes avait fait beaucoup de bien à l'activité, mais son montant vient d'être grandement réduit; nous ne savons pas encore quelles en seront les conséquences.

Comment continuer à faire venir les lectrices et lecteurs en librairie ?

Emmanuelle: Tout repose sur l'offre - nous avons plus de 60.000 références - et le conseil. Chaque libraire est véritablement spécialisé dans son domaine, et peut conseiller des ouvrages précis et sur mesure. Et puis, au quotidien, nous faisons toutes les petites choses d'un commerce de proximité : le papier cadeau, porter un livre à une personne âgée...

Vous vous efforcez aussi d'avoir une librairie vivante, en organisant de nombreux évènements et en étant parte-naire de multiples projets culturels.

Amandine : C'est vrai. Les rencontres et dédicaces avec les auteurs-rices sont très fréquentes, ainsi que des opérations comme « Les livres du Cœur », une vente d'ouvrages d'occasion au profit des Restos du Cœur, que nous organisons tous les deux ans en alternance avec un grand concours d'art plastique. Nous sommes également partenaires du Festival du Livre Jeunesse de Sainte-Radegonde, participons au dispositif « Jeunes en Librairie»... Emmanuelle: Sans oublier le« Prix des lecteurs» de la Maison du Livre, qui passionne 80 lectrices et lecteurs chaque année depuis 2003, et a sa petite renommée. En fait, nous sommes plus qu'un commerce : nous sommes un partenaire culturel pour les associations, les institutions culturelles, les musées... Ces derniers nous ont d'ailleurs beaucoup apporté, que ce soit par le tourisme culturel ou par la co-organisation régulière d'évènements et rencontres. La Maison du Livre a sa place au cœur de la vie culturelle ruthénoise.

On dit souvent que les jeunes ne lisent plus. Qu'en pensez-vous?

Emmanuelle : Nous partageons cette inquiétude. De nombreuses études ont montré les effets négatifs des écrans, mais cela concerne finalement toutes les tranches d'âge.Certains jeunes sont de gros lecteurs; d'autres ne lisent plus du tout Je crois que la question du modèle que donnent les parents est centrale : si les enfants ne voient pas de livres à la maison, ils ne liront pas.

Comment imaginez-vous la librairie de demain ?

Emmanuelle : C'est un sujet auquel nous réfléchissons beaucoup. Le métier va évoluer, et il faudra s'adapter, certainement se diversifier, tout en prenant en compte la singularité du marché du livre, puisque c'est le seul produit avec un prix unique.

Amandine : Je crois qu'il faudra aussi réfléchir à la questionde la surproduction. Rien que pour les romans, sur la dernière rentrée littéraire, nous avons reçu 480 ouvrages I En moyenne, nous recevons 600 kilos de livres par jour.

Qu'est-ce qui vous anime aujourd'hui ?

Amandine : L'envie de faire perdurer la librairie. Avant nous, il y a eu différents propriétaires ; après nous, nous espérons qu'il y en aura d'autres. Emmanuelle : On nous a confié une librairie qui n'est pas à nous : elle est à tout le monde. Les libraires sont des passeurs de livres ; nous, c'est la

librairie que nous passerons. Et notre rôle est que son âme perdure, tout en évoluant avec son époque.

Passage des Maçons

12000 Rodez

Photos : Studio Fegari by Jocelyn Calac
Propos recueillis par Charlotte Izzo
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